Linceul
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Chaque été, je m'enveloppe de jolis paréos bariolés...pour me pavaner ?
Non, même si leur drapé savamment ajusté me permet de me singulariser sur le tarmac des vacanciers. La plage n'est pas l'endroit où les fibres de mes morceaux d'étoffes exotiques sont les plus exposées.
Mes toges pourpres et frangipaniers me servent à rejoindre les bras de Morphée. Le climat de la Méditerranée étant trop caniculaire pour supporter les « Ukmar » et autres parures suédoises présentes dans toutes les armoires à linge d'Europe. Le coton tissé pour les couettes ne sied pas aux nuits collantes de Montpellier.
Le soir avant d'éteindre ma lampe de chevet, et après une dernière vérification de l'intensité et de la direction du vent frais produit par la fée électricité et l'hélice d'avion grillagée qui me sert de brasseur d'air, je m'allonge sous un des paréos que tu m'as offert. Ce rituel m'apporte des sensations dichotomiques. Tu me bordes et je reçois la caresse de ce linge qui t'a touchée il y a des années, mais le contact des fibres usagées me rappelle aussi le temps passé.
Quand je le remonte jusqu'à mon nez, je vois ton corps inanimé sous ton dernier dais. Belle au bois dormant de l’île Sacrée dont l'image a été gravée à jamais par un photographe zélé, dont les clichés m'ont choquée jusqu'à la nausée. Tu as été exposée sans dignité à une pratique d'un autre âge où les plaques argentées n'avaient pas encore été remplacées par des pixels numérisés. Ta dépouille m'est parvenue gravée sur un CD, qui aurait cru qu'une galette de PVC pourrait être si difficile à briser ? Repose en paix, sous le ciel étoilé, dans l'odeur acidulée des tiare. Je suis rassurée, je sais que tu m'aimais. Aucun mausolée, ne peut nous séparer.