Rimbaud après 68 Acte I scène 1
Un salon particulier dans le bar d'un établissement thermal de luxe. Deux hommes sont installés, séparément, dans des fauteuils capitonnés. Ils ont tous les deux la soixantaine.
Un serveur arrive avec un plateau, sur lequel trône une bouteille d'eau minérale .
Hippolyte , l'employé de l'établissement thermal
Voilà votre eau minérale, Monsieur Écriteau
Hugo Écriteau
Merci
L'employé reste debout, immobile, hésitant à parler
Silence
Hugo Écriteau
Je dois signer quelque chose ? La note ?
Hippolyte
Non, c'est pour la maison, mais si j'osais...
Hugo Écriteau
Je vous écoute…
Hippolyte
Voilà, je voulais savoir pourquoi, vous n'utilisez que des crayons pour écrire vos romans ?
Hugo Écriteau, prenant une inspiration et un air docte
La plume griffe le papier, les nerfs sont mis à rude épreuve, surtout si l'inspiration n'est pas au rendez-vous. Quand c'est mauvais, on a encore plus l'impression de griffonner.
Le voisin, s'agite dans son fauteuil et mâchouille nerveusement son cigare éteint tout en essayant de se concentrer sur son livre.
Hippolyte
Alors, vous n'utilisez jamais d'ordinateur ?
Hugo Écriteau
Non, la dactylographie c'est pour les secrétaires !
Hippolyte
Et vous utilisez du papier japonais, des carnets à spirales ?
Hugo Écriteau
Vous voulez ouvrir une papeterie dans la maison ou quoi ? Vous faites une étude marketing ?
Hippolyte
Excusez-moi, mais j'ai toujours entendu dire que les écrivains avaient des rites d'écriture, et je me disais que si vous m'aidiez à découvrir, ceux qui pourraient me convenir, je n'aurais plus peur de me lancer…
Hugo Écriteau
Mon jeune ami, ce qui vous manque, ce n'est pas le vélin japonais ou les plumes sergent-major.
Se levant, C'est l'élan vital ! Il faut vous persuader que le monde n'attend que vous ! Vidant son verre d'eau Que le public a soif de votre prose !
Le curiste assis à proximité, interrompt sa lecture, pousse un soupir d'exaspération.
Hugo Écriteau
Autrement, comment croyez-vous que j'aurais le courage de rester sur ma chaise à écrire toute la journée, mimant un swing au lieu d'aller au golf ?
Le curiste, Vladimir Komska, se lève et brandit son livre d'une main et son cigare éteint de l'autre.
Vous n'êtes donc qu'un pondeur de mots, un écrivain en batterie, votre éditeur doit vous nourrir aux OGM !
Hugo Écriteau
Tout à fait ! Si cela veut dire, Odieux Gains Mérités ! Caressant un portefeuille imaginaire à travers sa veste, j'imagine bien cher « Kamarade » amateur de ...lisant le titre du livre qu'il a saisi « catéchisme révolutionnaire » que cela vous dégoûte !
Vladimir Komska
"Rien n'est aussi stupide que l'intelligence orgueilleuse d'elle-même"
Hugo Écriteau, s'adressant à Hippolyte
Bakounine a aussi dit « Ceux qui se sont sagement limités à ce qui leur paraissait possible n'ont jamais avancé d'un seul pas. »
Vladimir Komska, arrachant le livre des mains d’Écriteau, Rendez-moi ça ! et se dirigeant vers la terrasse, où il rallume son cigare.
Hugo Écriteau
Se rasseyant, et cherchant une contenance en réajustant sa veste,
Qui est ce malotru ?
Hippolyte
Resservant un verre d'eau minérale, Monsieur est le célèbre poète Vladimir Komska.
Il est ici, pour se reposer comme vous.
Vladimir Komska, criant de la terrasse
Comme le dit ce cher laquais, je suis là pour me « repôser » ! Mon éditeur ne veut plus que je trempe ma plume dans la vodka ! Il trouve mes manuscrits un peu trop transparents, ces derniers temps...
Hugo Écriteau
Un anarchiste alcoolique en cure thermale ! Comme c'est original !
Hippolyte
Vous savez, il peut être charmant…
Hugo Écriteau
Charmant ! Eh bien, vous n'êtes pas difficile ! Je sais que les clients de l'institut ne sont pas folichons ! Mais tout de même !
Hippolyte
C'est à dire qu'il est cultivé, et hier je n'ai pas pu m'empêcher d'entendre votre conversation téléphonique avec votre agent… Vous disiez que votre séjour était d'un ennui mortel…
Hugo Écriteau
Je voudrais vous y voir ! Disserter des heures sur le régime crétois ou les liposuccions !
Hippolyte
C'est pour cela que Monsieur Komska pourrait être un dérivatif…
Hugo Écriteau
Ça pour être à la dérive….
Vladimir Komska
Je vous entends ! N'oubliez pas que vous êtes là, à cause de votre caisse de résonance ! passant sa main sur une bedaine imaginaire
Hugo Écriteau
Encore deux semaines ici ! Si ça continue, ce n'est pas mon ventre qui va fondre ! C'est mon cerveau !
Vladimir Komska, se tenant sur le seuil de la terrasse, la mine amusée, regardant une scène qui se passe en contrebas dans le jardin
Hippolyte, rejoignant le bar, où il se met à préparer deux cocktails à base de fruits rouges
Rappelez-vous, deux longues semaines…
Vladimir revenant à l'intérieur, hésite entre Hippolyte et Hugo Écriteau pour raconter la scène à laquelle, il vient d'assister
Hippolyte feint d'être affairé. Vladimir se dirige alors vers le fauteuil voisin de celui d’Écriteau et s'y installe nonchalamment.
Vladimir Komska
C'est incroyable ! Vous savez, ce que je viens de voir ? La petite vieille qui vous parle tout le temps…
Hugo Écriteau, poli, mais froid
Madame Poulain ? De la chambre 207 ?
Vladimir Komska
Celle qui a un petit chien-chien qu'elle trimballe partout ! Elle lui a sorti un petit gobelet en argent pour qu'il boive de l'eau minérale à la source ! Moi qui pensais qu'il était le seul client qui échappait au régime sec ! Vous croyez qu'elle lui a remplacé ses croquettes par des carottes vapeur ?
Hugo Écriteau
La vapeur ! Ils n'ont que ce mot à la bouche ! Je me crois sur un transatlantique qui va me permettre d'arriver à bon port, mettant sa main en visière sur le front : Paris, dans quinze jours !
Vladimir Komska
Vous commencez à craquer ? Mais vous n'êtes là que depuis une semaine !
Moi (il bombe le torse), j'entame ma troisième semaine (ton ironique), regardez comme j'ai le teint frais, (il se lève), la ligne, (il tourne sur lui-même). Mes réflexes sont revenus ! (il lâche son paquet d'allumettes d'une main et le rattrape de l'autre).
Hippolyte, arrivant avec deux magnifiques cocktails rouges surmontés d'un soleil en papier.
Ils manquent de se percuter.
Voilà...deux soleils couchants sur Moscou !
Vladimir Komska
Ah merci !
Hugo Écriteau
Je ne vous cache pas, qu'il tombe à pic ce…
Vladimir Komska
« Soleil couchant sur Moscou », c'est une allusion à la fin de mes illusions. C'est lui, il lève son verre en direction d'Hippolyte et lui fait un clin d’œil, qui l'a inventé pour me remonter le moral, au bout de ma première semaine…
Les deux hommes trinquent, et le serveur s'éclipse
Hugo Écriteau
A votre santé Camarade !
Komska aspire bruyamment son cocktail à la paille, d'une traite
Vladimir Komska
Ah ! Ça me donne vraiment l'illusion pendant quelques secondes d'être à l'Hemingway Bar de Prague… Désignant le bar inoccupé, c'est mon ange gardien, j'ai de la chance il a commencé il y a un mois à peine…C'est Madame Pervenche, qui me l'a dit…
Hugo Écriteau, reniflant le verre de Komska pour vérifier l'absence d'alcool
Madame Pervenche ?
Vladimir Komska
La dame âgée qui a des petits tailleurs bleus ciel et les cheveux assortis, il agite la main pour souligner l'approximation
Écriteau semble dérouté
Pour m'occuper, j'ai donné un surnom à chacun de nos « codétenus ». J'ai commencé par les personnages du Cluedo.
Hugo Écriteau fait une mine de plus en plus perplexe
Vladimir Komska, visiblement ravi d'être parvenu à déconcerter son interlocuteur
Non, non, vous n'êtes pas le colonel Moutarde ! Vous jouez dans la catégorie au dessus !
Vous voulez essayer de deviner ?
Hugo Écriteau, entrant dans le jeu de Komska, aspire une gorgée de jus de fruit et lève les yeux au ciel en quête d'inspiration
Vladimir Komska
Un indice ? sans attendre de réponse, Dans le domaine policier !
Hugo Écriteau
Arsène Lupin ?
Moue de Komska
Hugo Écriteau
Plus en adéquation avec mon physique ?
Acquiescement de Komska, qui se frise des moustaches imaginaires
Hugo Écriteau
Des moustaches ? Sans attendre la réaction de son interlocuteur, un nom de légume ? Claquant des doigts, Hercule Poirot !
Vladimir Komska, jubilant
Élémentaire, mon cher Watson !
Hugo Écriteau, en se bombant le torse
En tout cas, l'alter ego que vous m'avez choisi n'est pas dénué d'intelligence… se renfonçant dans son fauteuil, mais il n'est pas on plus réputé pour sa modestie !
Vladimir Komska
« Nobody is perfect » !
Hugo Écriteau
Alors, comme ça, votre petit jardin secret, ce sont les romans d'Agatha Christie, Exbrayat, Simenon…
Vladimir Komska
Vous semblez étonné. Pas assez intellectuel pour un auteur engagé comme moi? Avez-vous remarqué que la nature humaine n'est jamais assez bien décrite que dans des œuvres sensées distraire les gens dans les trains ? On n'a rien fait de mieux depuis Dostoïevski !
Hugo Écriteau
Finalement, vous aimez les best-sellers…