Rimbaud après 68 Acte I scène 1

Publié le par Catherine Picque

Un salon particulier dans le bar d'un établissement thermal de luxe. Deux hommes sont installés, séparément, dans des fauteuils capitonnés. Ils ont tous les deux la soixantaine.

Un serveur arrive avec un plateau, sur lequel trône une bouteille d'eau minérale .

Hippolyte , l'employé de l'établissement thermal

Voilà votre eau minérale, Monsieur Écriteau

Hugo Écriteau

Merci

L'employé reste debout, immobile, hésitant à parler

Silence

Hugo Écriteau

Je dois signer quelque chose ? La note ?

Hippolyte

Non, c'est pour la maison, mais si j'osais...

Hugo Écriteau

Je vous écoute…

Hippolyte

Voilà, je voulais savoir pourquoi, vous n'utilisez que des crayons pour écrire vos romans ?

Hugo Écriteau, prenant une inspiration et un air docte

La plume griffe le papier, les nerfs sont mis à rude épreuve, surtout si l'inspiration n'est pas au rendez-vous. Quand c'est mauvais, on a encore plus l'impression de griffonner.

Le voisin, s'agite dans son fauteuil et mâchouille nerveusement son cigare éteint tout en essayant de se concentrer sur son livre.

Hippolyte

Alors, vous n'utilisez jamais d'ordinateur ?

Hugo Écriteau

Non, la dactylographie c'est pour les secrétaires !

Hippolyte

Et vous utilisez du papier japonais, des carnets à spirales ?

Hugo Écriteau

Vous voulez ouvrir une papeterie dans la maison ou quoi ? Vous faites une étude marketing ?

Hippolyte

Excusez-moi, mais j'ai toujours entendu dire que les écrivains avaient des rites d'écriture, et je me disais que si vous m'aidiez à découvrir, ceux qui pourraient me convenir, je n'aurais plus peur de me lancer…

Hugo Écriteau

Mon jeune ami, ce qui vous manque, ce n'est pas le vélin japonais ou les plumes sergent-major.

Se levant, C'est l'élan vital ! Il faut vous persuader que le monde n'attend que vous ! Vidant son verre d'eau Que le public a soif de votre prose !

Le curiste assis à proximité, interrompt sa lecture, pousse un soupir d'exaspération.

Hugo Écriteau

Autrement, comment croyez-vous que j'aurais le courage de rester sur ma chaise à écrire toute la journée, mimant un swing au lieu d'aller au golf ?

Le curiste, Vladimir Komska, se lève et brandit son livre d'une main et son cigare éteint de l'autre.

Vous n'êtes donc qu'un pondeur de mots, un écrivain en batterie, votre éditeur doit vous nourrir aux OGM !

Hugo Écriteau

Tout à fait ! Si cela veut dire, Odieux Gains Mérités ! Caressant un portefeuille imaginaire à travers sa veste, j'imagine bien cher « Kamarade » amateur de ...lisant le titre du livre qu'il a saisi « catéchisme révolutionnaire » que cela vous dégoûte !

Vladimir Komska

"Rien n'est aussi stupide que l'intelligence orgueilleuse d'elle-même"

Hugo Écriteau, s'adressant à Hippolyte

Bakounine a aussi dit « Ceux qui se sont sagement limités à ce qui leur paraissait possible n'ont jamais avancé d'un seul pas. »

Vladimir Komska, arrachant le livre des mains d’Écriteau, Rendez-moi ça ! et se dirigeant vers la terrasse, où il rallume son cigare.

Hugo Écriteau

Se rasseyant, et cherchant une contenance en réajustant sa veste,

Qui est ce malotru ?

Hippolyte

Resservant un verre d'eau minérale, Monsieur est le célèbre poète Vladimir Komska.

Il est ici, pour se reposer comme vous.

Vladimir Komska, criant de la terrasse

Comme le dit ce cher laquais, je suis là pour me « repôser » ! Mon éditeur ne veut plus que je trempe ma plume dans la vodka ! Il trouve mes manuscrits un peu trop transparents, ces derniers temps...

Hugo Écriteau

Un anarchiste alcoolique en cure thermale ! Comme c'est original !

Hippolyte

Vous savez, il peut être charmant…

Hugo Écriteau

Charmant ! Eh bien, vous n'êtes pas difficile ! Je sais que les clients de l'institut ne sont pas folichons ! Mais tout de même !

Hippolyte

C'est à dire qu'il est cultivé, et hier je n'ai pas pu m'empêcher d'entendre votre conversation téléphonique avec votre agent… Vous disiez que votre séjour était d'un ennui mortel…

Hugo Écriteau

Je voudrais vous y voir ! Disserter des heures sur le régime crétois ou les liposuccions !

Hippolyte

C'est pour cela que Monsieur Komska pourrait être un dérivatif…

Hugo Écriteau

Ça pour être à la dérive….

Vladimir Komska

Je vous entends ! N'oubliez pas que vous êtes là, à cause de votre caisse de résonance ! passant sa main sur une bedaine imaginaire

Hugo Écriteau

Encore deux semaines ici ! Si ça continue, ce n'est pas mon ventre qui va fondre ! C'est mon cerveau !

Vladimir Komska, se tenant sur le seuil de la terrasse, la mine amusée, regardant une scène qui se passe en contrebas dans le jardin

Hippolyte, rejoignant le bar, où il se met à préparer deux cocktails à base de fruits rouges

Rappelez-vous, deux longues semaines…

Vladimir revenant à l'intérieur, hésite entre Hippolyte et Hugo Écriteau pour raconter la scène à laquelle, il vient d'assister

Hippolyte feint d'être affairé. Vladimir se dirige alors vers le fauteuil voisin de celui d’Écriteau et s'y installe nonchalamment.

Vladimir Komska

C'est incroyable ! Vous savez, ce que je viens de voir ? La petite vieille qui vous parle tout le temps…

Hugo Écriteau, poli, mais froid

Madame Poulain ? De la chambre 207 ?

Vladimir Komska

Celle qui a un petit chien-chien qu'elle trimballe partout ! Elle lui a sorti un petit gobelet en argent pour qu'il boive de l'eau minérale à la source ! Moi qui pensais qu'il était le seul client qui échappait au régime sec ! Vous croyez qu'elle lui a remplacé ses croquettes par des carottes vapeur ?

Hugo Écriteau

La vapeur ! Ils n'ont que ce mot à la bouche ! Je me crois sur un transatlantique qui va me permettre d'arriver à bon port, mettant sa main en visière sur le front : Paris, dans quinze jours !

Vladimir Komska

Vous commencez à craquer ? Mais vous n'êtes là que depuis une semaine !

Moi (il bombe le torse), j'entame ma troisième semaine (ton ironique), regardez comme j'ai le teint frais, (il se lève), la ligne, (il tourne sur lui-même). Mes réflexes sont revenus ! (il lâche son paquet d'allumettes d'une main et le rattrape de l'autre).

Hippolyte, arrivant avec deux magnifiques cocktails rouges surmontés d'un soleil en papier.

Ils manquent de se percuter.

Voilà...deux soleils couchants sur Moscou ! 

Vladimir Komska

Ah merci !

Hugo Écriteau

Je ne vous cache pas, qu'il tombe à pic ce…

Vladimir Komska

« Soleil couchant sur Moscou », c'est une allusion à la fin de mes illusions. C'est lui, il lève son verre en direction d'Hippolyte et lui fait un clin d’œil, qui l'a inventé pour me remonter le moral, au bout de ma première semaine…

Les deux hommes trinquent, et le serveur s'éclipse

Hugo Écriteau

A votre santé Camarade !

Komska aspire bruyamment son cocktail à la paille, d'une traite

Vladimir Komska

Ah ! Ça me donne vraiment l'illusion pendant quelques secondes d'être à l'Hemingway Bar de Prague… Désignant le bar inoccupé, c'est mon ange gardien, j'ai de la chance il a commencé il y a un mois à peine…C'est Madame Pervenche, qui me l'a dit…

Hugo Écriteau, reniflant le verre de Komska pour vérifier l'absence d'alcool

Madame Pervenche ?

Vladimir Komska

La dame âgée qui a des petits tailleurs bleus ciel et les cheveux assortis, il agite la main pour souligner l'approximation

Écriteau semble dérouté

Pour m'occuper, j'ai donné un surnom à chacun de nos « codétenus ». J'ai commencé par les personnages du Cluedo.

Hugo Écriteau fait une mine de plus en plus perplexe

Vladimir Komska, visiblement ravi d'être parvenu à déconcerter son interlocuteur

Non, non, vous n'êtes pas le colonel Moutarde ! Vous jouez dans la catégorie au dessus !

Vous voulez essayer de deviner ?

Hugo Écriteau, entrant dans le jeu de Komska, aspire une gorgée de jus de fruit et lève les yeux au ciel en quête d'inspiration

Vladimir Komska

Un indice ? sans attendre de réponse, Dans le domaine policier !

Hugo Écriteau

Arsène Lupin ?

Moue de Komska

Hugo Écriteau

Plus en adéquation avec mon physique ?

Acquiescement de Komska, qui se frise des moustaches imaginaires

Hugo Écriteau

Des moustaches ? Sans attendre la réaction de son interlocuteur, un nom de légume ? Claquant des doigts, Hercule Poirot !

Vladimir Komska, jubilant

Élémentaire, mon cher Watson !

Hugo Écriteau, en se bombant le torse

En tout cas, l'alter ego que vous m'avez choisi n'est pas dénué d'intelligence… se renfonçant dans son fauteuil, mais il n'est pas on plus réputé pour sa modestie !

Vladimir Komska

« Nobody is perfect » !

Hugo Écriteau

Alors, comme ça, votre petit jardin secret, ce sont les romans d'Agatha Christie, Exbrayat, Simenon…

Vladimir Komska

Vous semblez étonné. Pas assez intellectuel pour un auteur engagé comme moi? Avez-vous remarqué que la nature humaine n'est jamais assez bien décrite que dans des œuvres sensées distraire les gens dans les trains ? On n'a rien fait de mieux depuis Dostoïevski !

Hugo Écriteau

Finalement, vous aimez les best-sellers…

Publié dans Théâtre

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