Rimbaud après 68, Acte I, scène 2

Acte I, scène 2
Une salle de massage et de cardio-training d'un établissement thermal de luxe.
Vladimir Komska en jogging, une serviette autour du cou est assis sur un vélo, mais ne pédale pas, la porte s 'ouvre et il cache précipitamment un journal de turfistes sous son sweat-shirt.
Hugo Ecriteau apparaît dans un peignoir, il sort visiblement du hammam.
Hugo Ecriteau
Ah, vous êtes là vous aussi…
Vladimir Komska
Dommage qu'on ne vous ait pas donné un peignoir rose, je vous vois très bien en Barbara Cartland au masculin, accumulant les recettes de vos best-sellers dans votre château au bord de la Loire, transformé en bonbonnière écœurante !
Hugo Ecriteau
Je vois que vous connaissez mon domaine, vous avez lu l'article dans Match ?
Vladimir Komska
Eh oui, ici ils vous allègent le porte-monnaie et vous plombent le cerveau. Pas moyen de trouver de la lecture saine. Hier, j'ai dû parcourir le Financial Times. C'était amusant ces analyses sur l'avenir du monde capitaliste, imprimées sur du papier rose saumon…
Hugo Ecriteau
Vous êtes toujours aussi ironique, vous critiquez l'aisance matérielle, mais pourtant, vous êtes ici, avec nous les curistes nantis. Comment pourriez-vous le justifier auprès de vos lecteurs en quête d'absolu ?
Vladimir Komska
Si vous voulez me dénoncer, ne vous gênez pas, vous seriez un héros, et la plus longue supercherie de la littérature contestataire, enfin révélée…
J'imagine les gros titres, il mime avec les mains « Komska, le poète maudit en cure à Vichy ! » ou « Après les acides, les pastilles... »
Hugo Ecriteau
Vous avez vraiment pris toutes ces substances dans les années '70 ?
Vladimir Komska
Est-ce que je vous demande si c'est à cause du champagne et du foie gras que vous êtes là ? On est ici, parce qu'on est vieux et qu'on a envie que ça continue encore un peu, c'est tout…
Hugo Ecriteau
Pourtant, vous avez toujours dit que ce qui pouvait arriver de mieux à un écrivain, c'était de mourir avant de réécrire tout le temps le même livre.
Silence
Enfin, c'est ce que j'ai lu…
Vladimir Komska
J'ai dû dire ça, quand j'avais vingt ans…
Silence
En tout cas, je préfère décréter que je ne suis plus écrivain et continuer à me réveiller tous les matins. Ne me demandez pas pourquoi, je ne sais pas ce qui me rend la vie si précieuse… Je n'ai ni femme, ni enfant…
Hugo Ecriteau
Des amis ?
Vladimir Komska
Curieusement oui, pas mal. Je passe mon temps à dire que la nature humaine est pourrie, que les valeurs foutent le camp, et c'est comme si cela aiguillonnait les gens… qui sympathisent avec moi pour me montrer que j'ai tort !
Finalement, le principal attrait de ma vie, c'est de débattre avec d'autres humains de l'intérêt ou non de vivre dans notre société. Et plus j'en discute, plus j'ai envie de rester pour trouver la personne qui me fournira les bons arguments.
Et vous ? Pourquoi vous vous accrochez ?
Hugo Ecriteau
Moi ? Mes enfants sont grands maintenant… bizarrement, ils sont assez attachés à moi … ce qui est assez injuste pour leurs mères, ce sont elles qui ont tout fait...
Vladimir Komska
Plusieurs unions ?
Hugo Ecriteau
Oui, un vrai cliché… Plusieurs versions de la même femme, de plus en plus jeune, mince et blonde…
Silence méditatif
Vladimir Komska
Vous voulez qu'on sorte de cette clinique ? On se fait un bon gueuleton au « Grand Veneur » ? La vapeur dans les naseaux, passe encore, mais dans l’assiette, c'est insoutenable !
Hugo Ecriteau rajustant son peignoir, et se dirigeant vers la sortie
D'accord, à 19 heures à la réception. A tout à l'heure mon vieux.
Vladimir Komska descend de son vélo, ressort son journal de turfiste de son sweat shirt, qu'il pose sur la selle pour sortir sa montre de sa poche, il la regarde et se dirige vers la porte
Il est encore temps d'aller jouer pour le tiercé de Longchamp…
Arrive Hippolyte, poussant un chariot de serviettes et de peignoirs pliés, il a des écouteurs dans les oreilles et chante à tue-tête « Offishall » de IAM
Pendant ce temps, Komska revient, car il a oublié son journal de turfistes
Hippolyte
« Un jour, au sénat, on sera offishall
Dans les pubs à la télé, on sera offishall
On mendie pas, on pleure pas, on râle pas
On dort pas, on meurt pas, on construit, on veut être offishall »
Komska s'approche doucement pour ne pas interrompre Hippolyte, il attrape son journal, fait mine de repartir, mais s'arrête sur le seuil, pour continuer à écouter.
Hippolyte
« Et ils ont peur de nous, ça c'est pas logique
Ils font leur shopping, c'est nous les vigiles... »
Komska, tout haut, mais pour lui
Ça c'est bien analysé ! Les gens sont quand même cons parfois !
Hippolyte, tout en rangeant les peignoirs et les serviettes sur une étagère
« On parle d'une femme présidente, ça fait grincer les dents
alors comprends que pour les noirs, faudra repasser dans 100 ans »
Komska s'est rapproché doucement pour profiter des paroles, Hippolyte l'aperçoit et retire ses écouteurs
Hippolyte reprenant une posture plus stylée et désignant le journal de turfistes
Bonjour Monsieur Komska ! Belle journée pour les courses !
Komska
C'est intéressant ce que vous chantez… C'est plein de bon sens, et droôlement bien tourné…
Hippolyte
Vous aimez ? C'est le groupe IAM, des confrères à vous en quelque sorte…
Komska
Je ne crois pas avoir jamais écrit quelque chose d'approchant…
Hippolyte, gêné d'avoir peut-être fait une gaffe
C'est moins classique que vos vers…
Komska, le détrompant
C'est aussi beaucoup plus percutant ! Ça au moins, c'est du vécu !
Hippolyte
Naître en banlieue, ça forge le caractère…
Komska, tout à coup assombri
A qui le dites-vous ! Allez, le devoir m'appelle ! Je dois rejoindre le prolétariat, au PMU du coin !
Komska, faisant un signe d'au revoir avec son journal
Naître ou ne pas naître en banlieue, telle est la question !