Bruissements. Le secret du Tupa 15

Publié le par Catherine Picque

 

Les nacos ouverts sur les moustiquaires comme des clapets d'ailes d'avions laissaient filtrer toutes sortes de bruissements, stridulations, chuintements, grésillements, totalement inconnus de Maeva. Elle essayait de se rassurer en se concentrant sur le dessin imprimé sur la taie d'oreiller du lit d'enfant où elle se retournait en cherchant le sommeil. Des petits cosmonautes rondouillards y virevoltaient dans l'espace en compagnie de planètes pas plus grandes qu'eux. Les amis de son père qui lui avaient proposé cet hébergement avaient deux petits garçons partis en vacances en France, et elle dormait dans leur chambre. Sa première nuit en Polynésie ressemblait vraiment à une rencontre du troisième type. Tout lui semblait appartenir à un autre univers. Les sons lui parvenaient comme amplifiés, chaque branche de cocotier qui en frottait une autre provoquait un crissement, qui seul aurait été supportable, mais formait avec tous les autres bruits de la nuit une cacophonie végétale et animale entêtante. Ce qui était déstabilisant, c'était son incapacité à isoler et à nommer chacun de ses éléments. A Montpellier, dans son studio d'étudiante, il y avait aussi des bruits : le tintement du tramway, les pétarades des motos qui profitaient de l'impunité nocturne pour traverser l’Écusson piétonnier, le balai incessant et tapageur des services de nettoyage urbain… Mais tous ces signes sonores faisaient partie de son environnement et la berçaient presque…

C'est en se remémorant cette expérience de la nuit polynésienne, que Maeva réalisa que parfois la familiarité de certaines choses les rendent invisibles ou tout au moins insignifiantes. Maintenant qu'elle vivait à Raïatea depuis quatre ans, il y avait certainement des détails auxquels elle n'accordait plus d'importance, mais qui pouvaient se révéler fort utiles pour comprendre les signes que Philibert lui envoyait depuis quelques temps. Elle essaya de se remémorer dans quelles conditions elle avait éprouvé le matin même ces frissons, vécus comme un avertissement. Elle avait trébuché en se levant, puis elle avait éprouvé une sorte de vertige, mais aussi de la volupté, comme si elle avait ingéré un aphrodisiaque ou une drogue… C'était ça, les frissons n'étaient pas le présage d'une catastrophe, ils marquaient la fin d'un état de flottement où la fatigue et la peur n'existaient pas. Philibert avait essayé de lui indiquer le nom d'une substance hallucinogène ou euphorisante, en lui en faisant éprouver les effets. Mais la limite de cet indice, était l'inexpérience de la jeune femme en matière d'oubli de soi, notamment après l'ingestion de substances illégales. Pourquoi son compagnon botaniste pouvait-il penser qu'elle connaissait une drogue capable de provoquer de tels effets ? Après tout,jusqu'à maintenant, il ne s'était jamais trompé, et cela valait la peine de passer au crible sa mémoire. « Drogue », « illégal », « mémoire » ces mots flottaient et formaient des circonvolutions sonores dans son esprit, quand soudain la clef de l'énigme lui apparut : Monsieur Peterson était l'auteur d'un rapport ou plutôt un mémoire sur les effets du kava ou piper methysticum rédigé à la demande du Haut Commissariat pour déterminer s 'il s'agissait d'une drogue ou pas. L'ancien directeur de l'hôpital avait abordé cette question avec elle, il y a quelques mois, quand elle l'avait interviewé pour compléter ses recherches sur le rauu tahiti. L'expert penchait alors pour un non-classement du kava dans la liste des drogues.

Publié dans Roman policier

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