Identité. Le secret du Tupa 19

Publié le par Catherine Picque

 


 

Pour ses collègues le Lieutenant Foucher était l’archétype du popa’a : grand, blond, des tâches de rousseur qui assemblées pouvaient constituer une forme de bronzage, et surtout un patronyme assorti à ce phénotype, une identité simple, sans métissage, des ancêtres tous réunis dans le même petit cimetière d’une paroisse de la campagne française… Pour une fois que les clichés ne sortaient pas de l’imagination des Fraani… Cette vision faisait beaucoup rire François, même si la réalité était très proche de ce portrait robot : toute sa généalogie pouvait être contenue dans un territoire Normand en forme de triangle entre trois terroirs fromagers : Livarot- Camembert-Pont l’Évêque. Son grand-père se plaisait à dire que les hommes de la famille étaient comme ces fromages, dotés de caractère, fermes à l’extérieur et coulant à l’intérieur… Enfant, il se demandait quel genre de femmes pouvait apprécier des hommes aux caractéristiques laitières, à ses yeux, si peu ragoutantes… En fait, il n’avait jamais vécu dans le triangle du Calvados, ses parents instituteurs étaient partis dans les années 1960 comme coopérants en Algérie, nouvellement indépendante et avaient abandonné pendant des années les spécialités au lait de vache au profit de l’huile d’olive et des dattes. Puis après un retour peu concluant en France, ils avaient repris l’avion vers l’Océan Indien où François arrivé à l’école Primaire était presque un Zoréole quand il était revenu dans l’hexagone après son master en droit pour passer les concours de l’administration judiciaire. Il pensait faire une carrière de juge, mais les formulaires d’inscription aux concours lui avaient révélé une particularité de son identité : il n’était de nulle part, en tout cas, les endroits qu’il aurait voulu déclarer siens se refusaient à cette appropriation : son identité de fils d’expatriés post-coloniaux ne l’avait jamais interrogé tant qu’il habitait Outre-Mer, mais le laissait plein d’incertitudes sous le ciel gris de Métropole. La robe noire, les clubs élitistes, tennis, golf, bridge selon affinités auxquels il faudrait adhérer pour faire partie des notables…tout cela provoquait chez lui une aversion viscérale. Lui qui avait eu des camarades de classe de toutes les ethnies sans y prêter attention et avait toujours accepté l’étiquette qu’on lui collait sans y trouver à redire, se rendait compte qu’il n’appartiendrait jamais au groupe auquel on l’agglomérait : les Français pure souche. Lui, il aurait voulu être «d’origine », et pas forcément contrôlée comme les fromages de ses ancêtres.

Ce paradoxe de la crainte d’être reconnu par ses pairs était né d’un paragraphe sibyllin d’un formulaire administratif où après avoir complété sa date et son lieu de naissance, il s’était demandé quel nom de tribu il devait inscrire puisque né en Algérie… Devant son incompréhension le préposé au dépôt du susdit dossier avait manifesté son indisposition devant tant de naïveté, par un « Cela ne vous concerne pas ! Bien sûr ! ». Ce sentiment d’être dans un monde dont il ignorait tous les codes, qu’ils soient sociaux, vestimentaires, linguistiques…lui fit comprendre qu’il ne parviendrait jamais, non seulement à s’intégrer dans les réseaux nécessaires à sa carrière, mais surtout qu’il ne pourrait pas comprendre les justiciables qu’il rencontrerait quotidiennement. Quitte à endosser un uniforme, et à être un représentant de la République, il choisit la version commis voyageur et délaissa les polos Lacoste et les mocassins à glands pour le képi et le combo chaussettes blanches et short tropical.


 

Identité. Le secret du Tupa 19
Identité. Le secret du Tupa 19

Publié dans Roman policier

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article