Poste de police. Le secret du Tupa 17.

Publié le par Catherine Picque

 

Le jeune policier souriait, Maeva ne le regardait pas, mais l'énergie qu'il déployait pour être plein de compassion suffisait à elle seule, pour rendre compte de son rictus de circonstance. Il était là, inscrit sur ses lèvres, comme celui d'une murène tapie dans son trou, attentive et hideuse.

Ce jeune homme n'était bien sûr en rien repoussant, mais son sourire qui lui semblait inapproprié, la révulsait.

Aussi, elle laissa flotter son regard sur les parois du bureau fraîchement ripolinées. C'est alors qu'une affiche tapée à l'ordinateur attira son attention, son contenu était à ses yeux sans importance, mais sa forme l'obsédait : elle comportait des fautes d'orthographe. Ce jeune officier était en train de déposer sur son bureau, les effets personnels de son père décédé, et elle, elle était fascinée par l'indécence de cette affiche mal orthographiée qui s'exhibait dans ce lieu où l'ordre devait régner. C'est alors qu'elle comprit que l'incohérence apparente de sa réaction avait un sens. Son père était là, avec elle et il lui soufflait comment réagir devant cette épreuve.

Tout d'un coup, elle avait son sens de l'humour un peu cynique, elle voyait la scène avec ses yeux à lui. Elle ne se sentait pas effrayée, mais au contraire complice. Elle savait qu'il serait toujours là, pour la faire rire.C'est alors que lui parvinrent les propos du jeune fonctionnaire.

« Le corps de votre père est à l'hôpital, vous pouvez en disposer pour les obsèques, le décès étant accidentel, il vous faudra juste passer à la mairie pour la déclaration de décès. »

La scène qu'elle avait maintes fois vécue dans sa tête depuis son réveil, n'allait donc pas se concrétiser. Elle ne serait pas obligée de découvrir son père dans un linceul d'acier sur glissière, avec une petite étiquette cartonnée à l'orteil.

Elle tourna alors la tête vers son interlocuteur qui surprit sur son visage, un sourire doux et triste à la fois, celui que son père avait souvent, quand il pensait que personne le regardait.

« Mademoiselle Marquand ? »

L'appel de son nom la fit revenir au présent : elle était assise sur un banc dans un couloir de la gendarmerie de Raïatea, et un représentant de l'ordre la rappelait à la réalité. C'était certainement la similitude des lieux ; murs unis, dénuement de la décoration, bourdonnement des claviers d'ordinateurs et des sonneries de téléphone qui l'avait replongée, dans cet épisode du passé qui n'avait pas ressurgi depuis son arrivée en Polynésie. « Que puis-je pour vous ? » lui demanda le lieutenant de police Foucher, fraîchement arrivé de France et qui n'avait pas encore adopté le tutoiement généralisé en usage à Raïatea, ni même intégré l'obsolescence du terme Mademoiselle pourtant légiférée en métropole.

Maeva fut saisie d'une panique irrépressible, qu'allait-elle pouvoir dire, à cet officier de gendarmerie en charge d'une enquête criminelle, on ne peut plus sérieuse ?

Qu'elle avait fait des petites fiches, reçu des messages codés d'un botaniste mort il y a plus de deux cent ans, et qu'elle était ainsi parvenue à résoudre le mystère qui planait sur ces trois meurtres ? Le ridicule de sa démarche lui apparaissait de plus en plus nettement, mais il était maintenant trop tard, le gendarme l'avait introduite dans son bureau et l'invitait à s'asseoir en face de lui. C'était la troisième fois de la journée, si l'on incluait son incursion dans le passé, qu'elle se trouvait dans cette posture. « Vous vouliez me voir personnellement, m'a dit mon collègue, c'est à quel sujet ? Vous avez l'air inquiète... » Au moins son interlocuteur était-il aimable et perspicace, cela la rasséréna un peu, car il allait devoir déployer beaucoup de compréhension et d'ouverture d'esprit pour écouter les théories de cette Miss Marple des îles qui communiquait avec les esprits. La demie-heure qui suivit fut pour Maeva l'équivalent d'une séance de psychothérapie : prendre ses tripes, les déposer sur une table et laisser un étranger y farfouiller en silence pour trouver le truc qui cloche. C'est en tout cas ce qu'elle ressentit en expliquant au lieutenant Foucher comment elle en était arrivée à la conclusion qu'Edmond était l'auteur des trois crimes commis depuis un mois. A la fin de son récit, le brigadier hocha la tête et prononça les paroles les plus inattendues et insensées pour Maeva : « très intéressant », puis il la toisa de son regard sérieux et malicieux à la fois, avant d'ajouter : « Voulez-vous savoir ce qu'un modeste enquêteur, comme moi a trouvé depuis un mois ? ». L'étonnement de Maeva n'avait d'égal que sa curiosité et elle répondit en apparence imperturbable « Je vous écoute, Lieutenant Foucher », en se promettant de répondre ultérieurement à cette question ; «  Pourquoi un gendarme lui révélait-il les éléments d'une enquête en cours et la prenait de surcroît au sérieux ? »

Publié dans Roman policier

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