Anuanua. Le secret du Tupa 20

Publié le par Catherine Picque


 

Une société Arc en ciel, c’est comme ça que François Foucher concevait la société idéale. Il ne faisait pas référence aux Village People sur un bateau guerrier, même si les causes LGBT et écologistes lui étaient chères, sans pour autant en être un militant affiché, devoir de réserve oblige. Il considérait que toutes les couleurs de l’arc en ciel étant indispensables à la création de la lumière, toutes les ethnies, les cultures, les langues, les religions permettaient de construire l’Humanité.

Ses jeunes années passées à l’Île de la Réunion, étaient pour lui la preuve que le métissage était possible, il n’y avait presque jamais rencontré d’exemples d’intolérance. Malgré le passé esclavagiste de cette ancienne île sucrière, le racisme n’y était pas un pivot de la société postcoloniale. L’Éducation Civique de l’enseignement laïc, gratuit et obligatoire n’était pas obligé de marteler aux enfants Zoreils, Malabars, Zarabes, Cafres, Yab, Gros Blanc et Sinois que « le racisme c’est pas bien ! ». Contrairement à ce qu’il avait douloureusement expérimenté en métropole, où ce credo n’était parfois qu’une incantation hypocrite et vaine. Le seul souvenir qui faisait exception à ce tableau idyllique et coloré était lié à une histoire d’amour impossible entre deux de ses amis de lycée qui étaient tous les deux Indiens et Musulmans, mais dont les parents respectifs s’opposaient à leur idylle car la famille de la jeune fille était chiite, et celle de son copain sunnite. Sans nier les souffrances de ses deux amis, cette version « Bollywood » de Roméo et Juliette lui avait toujours parue ubuesque, car les Ismaéliens dont faisaient partie son amie avaient eu dans leur histoire plusieurs Aga Khan dont les mariages et divorces avec des danseuse, modiste, mannequin, princesse, italienne, française, anglaise, allemande avaient fait les nombreuses unes de Point de vue et Images du Monde, revue qu’il lisait chaque été chez sa grand-mère entre deux goûters au Pont l’Evêque. Sans parler du mariage de Rita Hayworth avec un potentiel héritier des descendants des Imams, successeurs d’Ali, gendre du Prophète.

Mais même cet amour contrarié par le poids des traditions, ne constituait pas pour lui une preuve d’intolérance. Les amoureux s’étaient fréquentés ouvertement pendant plusieurs années, sans que leur relation n’offusque personne. C’est seulement quand l’amourette commença à devenir potentiellement sérieuse, que les familles exigèrent plus de discrétion, et que les amoureux finirent par se séparer quand des partis plus « appropriés » rencontrèrent leur préférence. Il ne sut jamais réellement si cette histoire devait être classée dans le dossier « traditions archaïques » ou juste dans « amour de jeunesse idéalisé ».

Il était allé aux deux mariages de ses amis au cours de sa troisième année d’université et il n’avait ressenti aucune rancœur ni regret chez les deux partis. Il se rendait compte avec le recul, qu’il avait bien fait d’abandonner ses velléités de carrière de juge, car il n’était pas très doué pour détecter la dissimulation des sentiments. Ce handicap lié à une trop grande honnêteté se ressentait aussi dans son quotidien de lieutenant judiciaire.

En arrivant à Raïatea, il lui avait semblé dans un premier temps que la connaissance approfondie d’une société métissée comme celle de la Réunion, lui serait d’une grande aide pour comprendre les Polynésiens qui comptaient également en plus des Maohis, des métis et des descendants de la diaspora chinoise. Surtout que les Chinois de Tahiti et les Sinoi de la Réunion étaient essentiellement issus de la même ethnie, les Hakka. Il avait même marqué des points auprès des commerçants en déployant ses quelques connaissances sur ce peuple du Sud de la Chine.

Mais il s’était rendu compte que les chinois de Tahiti étaient très différents de ceux de la Réunion, notamment car ils avaient eu la nationalité française plus tardivement et que par désir d’assimilation, ils avaient souvent francisé leur nom de famille, alors que dans leur intimité ils continuaient à parler leur dialecte. A la Réunion, les sinoi de sa génération parlaient le créole, mais pas le hakka et quand ils ressentaient le besoin d’un retour aux sources, ils prenaient des cours de Mandarin, alors qu’aucun Han ne faisait partie de leurs ancêtres.

Ses errements ethnologiques, lui étaient revenus en mémoire quand ce matin, il avait entendu deux mamas couronnées de fleurs et dans de jolies robes mission assorties qui sortaient certainement d’une cérémonie qui venaient comme lui acheter du maa tahiti au snack de Tepua citer leur prêcheur :

« i te tia‘iraa ia ite atu i te anuanua hou a haamaitai ai i te Atua no te ua »

Il venait de trouver la traduction sur Internet :

« Nous perdons beaucoup quand nous attendons l’arc-en-ciel pour remercier Dieu de la pluie » LDS

Il chercha aussitôt l’auteur de cette citation qui lui plaisait presque autant qu’aux deux paroissiennes aux robes en paréo aux fougères vertes qui affectionnaient la même cuisine fusion que lui.

Il tapa « LDS » dans son moteur de recherche qui le mena à Eglise de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours ou "Latter Days Saints qui est en fait une église mormonne.

En regardant les reliefs de son repas avalé devant son écran, il se demandait si le lait de coco de son poisson cru contenait du LSD…

Puis il se rappela que ses principes de laïcité rejoignaient ceux de la reine Pomare IV qui en 1842 avait édicté que

«  Le peuple restera libre de considérer Dieu selon ses désirs ».


 

Il décida de méditer sur la pluralité religieuse avec douceur, et alla se chercher de la glace au taro dans le congélateur. Le violet de son « ice-cream » lui faisait penser au pourpre des ecclésiastiques plus orthodoxes et il s’amusa à la voir se liquéfier comme les Églises classiques devant ces nouveaux mouvements plus vivants au Fenua.


 

 

Pétales et Béton

Photo Catherine PICQUE

Publié dans Roman policier

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